mardi 17 juin 2008

De l'autre côté du miroir

Petits aspirants MCF, s'il vous reste une once de candeur et d'optimisme, allez vous chercher un café, un thé ou un single malt, asseyez-vous sous ce grand pin parasol à l'ombre généreuse et venez écouter un petit conte pédagogique qui vous instruira plus sûrement que le Journal Officiel sur les démarches à accomplir pour devenir un jour MCF (avec la participation gracieuse et tout à fait exceptionnelle du choeur antique).





Introduction
[le choeur antique entre sur scène]

Le choeur des hommes : Dans ce mois de juin humide, Antares agonisait encore, agitant ses pattes candides d'un simulacre sans remords.

Le choeur des femmes : Dans ce mois de juin humide, si l'arène est bien vide, la bagarre est ailleurs, c'est le temps des décisions sauvages et des glaives suspendus : ces jours-ci on discute et puis l'on tractationne pour savoir l'an prochain quel poste l'on actionne.

Les deux choeurs réunis [en chantant]:
On imagine déjà
les réunions pédagogiques : quels besoins? quelles compétences?
On imagine déjà
les débats des labos : quels besoins? quelles compétences?
Oh nos Dieux, qu'ils sont beaux ces enseignants chercheurs,
qui activent leur cerveau telle une normande le beurre
Pour faire jaillir de l'eau des idées de valeur.
Oh nos Dieux, qu'ils sont beaux les hommes de ces labos,
S'activant dans la forge, brandissant le marteau,
Et sous l'enclume regardons ces profils qui feront l'un des leurs
Afin que très bientôt l'intellectuel labeur
S'épanouisse comme le vin à Bordeaux.

[Fin de l'introduction, le choeur quitte la scène]

ACTE I

La semaine dernière, Politia est entrée dans mon bureau. Comme je partage celui-ci avec Créon, le directeur du laboratoire, la plupart des visiteurs viennent surtout pour le voir lui et Politia n'a pas dérogé à la règle. Surtout que, bien qu'assidue à toutes les réunions et journées de laboratoire, je n'avais jamais croisé Politia et par conséquent il y avait peu de chance pour que Politia vienne me voir. Du coup, Politia a du me prendre pour une n-ième stagiaire de master et a donc considéré que 1) il était superflu de me dire bonjour 2) on pouvait parler très fort devant moi sans honte ni vergogne. J'en ai été quitte pour une bonne leçon de politique et pour comprendre qu'en ce moment, il y a mieux à faire que de fignoler sa recherche et qu'il serait bien plus utile d'aller rencontrer des directeurs de labo que d'user ma chaise à finir un n-ième article.

Politia venait voir Créon pour lui demander de lui créer un poste, hé oui, ça se passe comme ça, tout simplement! Politia a soutenu sa thèse l'an passé et a été qualifiée. Politia a donc participé à sa première campagne en vain puisque comme la plupart des participants elle est rentrée bredouille. Politia a eu encore moins de chance que les autres puisqu'elle a mal lu le Journal Officiel et a envoyé les pièces demandées pour les candidats à la mutation et que par conséquent son dossier a été jugé irrecevable sur quasiment tous les postes où elle avait envoyé son dossier. On ne s'étendra pas sur la gloomitude de Politia qui fait qu'elle n'a pas été assez futée pour lire le bon paragraphe du JO mais on retiendra la pertinence de ses arguments développés auprès de Créon : les postes sur lesquels elle voulait candidater ont tous été pourvus en local, elle n'arrivera jamais à être recrutée ailleurs donc il lui faut un poste en local. Créon, qui est gentil, lui dit qu'il est un peu surpris de la voir revenir alors qu'elle ne s'est pas manifestée cette année mais qu'il sait que le recrutement est une chose difficile et qu'il comprend bien sa démarche. Il y réfléchira et Politia, après moults récits déchirants sur la difficulté du recrutement et moults promesses sur tous les engagements qu'elle tiendra si elle obtient un poste, quitte l'acte I.

ACTE II
Conseil de laboratoire : entre la charte graphique du site Internet et quelques affectations budgétaires, on aborde la question des postes de MCF et PR qui seront demandés pour 2009. Créon propose d'étudier les possibilités pour deux personnes ("sic!", fait Pandore qui avait cru qu'on parlait de poste et non de personne) : Fidelia qui est une MCF habilitée et Politia qui est donc venue le voir il y a quelques jours.
Créon, comme le reste de l'équipe d'ailleurs, aime beaucoup Fidelia, elle est gentille et compétente, elle n'a pas réussi à se classer sur un poste de prof cette année et donc il serait bien qu'on lui créé un poste car "sinon elle n'en aura jamais". Fidélia qui est présente sourit, douce et humble. Tout le reste de l'équipe acquiesce : Fidelia mérite un poste de prof, créons-lui donc un poste à son profil.
Le consensus est moindre pour Politia : elle appartient à une section en minorité dans le labo et cette section brille surtout par son absence et les régulières défections quand des exposés ont été promis. Mais Créon défend généreusement son cas : un labo doit soutenir les doctorants qui ont grandi en son sein généreux et Politia a promis d'être dynamique une fois en poste. Certains renâclent un peu. Pandore, qui ronge son frein depuis un quart d'heure, ose un "Mais ça dépend si vous créez un poste pour des compétences nécessaires à l'équipe ou pour une personne particulière!!". C'est un peu comme si elle avait éructé à une dîner de Nadine de R. : grand silence un peu gêné avant que les conversations ne reprennent puisque par courtoisie, il est de bon ton d'ignorer les vulgarités. Pandore remballe ses larmes et regarde autour d'elle, ils sont 10, maîtres de conférences, profs et chercheurs et un seul vient d'ailleurs... Après quelques dernières objections, il est proposé de demander un poste de prof en 2009 pour Fidelia et de prendre Politia en ATER à la rentrée : on lui créera ensuite un poste de MCF en 2010 où elle pourra postuler sans souci, forte de son expérience active dans la maison en 2009.

Conclusion
[le choeur antique entre sur scène, les hommes ont la poitrine labourée de coups de fouet sanglants et les femmes sont voilées en noir.]

Le choeur des hommes : si tu es un jeune aspirant plein de fougue et de motivation, mais que tu veux économiser 400 euros d'avion....

Le choeur des femmes : si tu es un jeune aspirant plein de velléités intellectuelles, mais que tu veux économiser 40 euros d'hôtel...

Les deux choeurs réunis [en chantant]:
Si tu ne veux perdre ton temps, ton coeur et ta vaillance dans un triste combat,
Ecoute bien Pandore telle une Madame Irma
Aspirant PR, au printemps 2009,
Fidelia sera première
Et peu importe l'oeuf.
Aspirant MCF, au printemps 2010,
Politia sera première
L'endogamie persiste.
Depuis la nuit des temps, ainsi s'en va le monde
Le prédateur prédate et le prédaté tombe
C'est toujours le cynisme qui fait tourner la ronde.

[Le choeur s'effondre comme foudroyé, Pandore traverse la scène avec un nez rouge et entame la Marseillaise avec un bandonéon qui joue faux, le rideau se ferme.]

11 commentaires:

Anonyme a dit…

Kalai, tu n'a pas compris il faut sauver le CNRS alors demain RDV à 8h 30 pour sauver le CNRS et "pour un monde meilleur"


Que puis-je faire pour défendre l’enseignement et la recherche le 19 juin ?
sur
http://www.sauvonslarecherche.fr/spip.php?article1838


Réponses

Que puis-je faire pour défendre l’enseignement et la recherche le 19 juin ?

Venir (dès 8h) participer au blocage du CA du CNRS à Paris

Je vais y aller, et demander aux présents combien sont titulaires, combien sont précaires, ha non ! demain matin je surveille des examens pour l’éducation nationale (il faut bien vivre).

Inciter le directeur de mon laboratoire ou/et de mon UFR à organiser une réunion pour discuter et préparer le 19 juin : les conditions posées et la portée de la grève administrative ;

(rire) Je suis, suspect depuis mes sorties sur SLR il y a deux ans. à l’époque mon directeur de labo à démissionné, puis réintégré son poste, tranquille. Quant à moi et mes co-disciples nous sommes toujours aussi précaires. Ah oui, ce directeur fait indéniablement partie des mandarins…

Afficher l’appel sur la porte de mon bureau ;

C’est une bonne idée, mais au fait il est où ? Pourtant c’est ma cinquième année d’enseignement à l’université je devrais le savoir ou qu'il est ce bureau…

Diffuser l’appel dans mes réseaux ;

Hi Hi, tiens je vais l’envoyer à ma mailing list de chercheurs précaires et autres travailleurs du savoir et artistes… pourquoi pas Kalai ?

Diffuser l’appel des médaillés CNRS et en contacter de nouveaux

Oula, pas beaucoups de médaillé CNRS dans mon carnet d’adresse, c’est donc pour ça que je n'y suis pas recruté… Je me refuse à y croire.

M’informer sur :
l’ANR ;

Quant je propose un projet de recherche à l’ANR c’est pour croûter pas pour acheter une maison secondaire, je les connais bien… Quoi il y aurait des membres de SLR à l’ANR ? impossible !

le financement de la recherche :

Je sais bien, je travaille dans des locaux ou les plafonds risquent de tomber…

le budget de la recherche (4 pages + annexes) ;
Faible ou élevé je reste un esclave intermittent, j'ai pas vraiment le temps de lire ça

le crédit impôt-recherche (2 pages) ;
Moins d’impôts, plus de fondations et de mécénat, il faudra pleurer auprès d’un prince pour avoir quelques miettes, c’est déjà le cas, mais en plus il faut cirer des pompes mandarinales, pas le temps de lire non plus et je dois finir cet article.

bon j'y retourne,

Pour que cela soit clair, je suis totalement opposé à ces « réformes ». Mais je suis trop précaire pour luter avec SLR…

SLR fait un rdv de précaire sans titulaire, j'y serais...

Anonyme a dit…

sont pénibles SLR, a vouloir sauver le caviar des titulaires avec la soupe populaire des précaires...

Pour info, la réforme de l'université en cour propose entre autres bonnes nouvelles "La "généralisation de la mobilité entre universités en matière de premières nominations dans des fonctions d’enseignant-chercheur". (la fin du localisme...)

Anonyme a dit…

La LRU c'est pas la fin du localisme, c'est son officialisation par le management des mandarins : nuance.

Anonyme a dit…

Comme d'hab' : le style est brillant, le contenu est déprimant (mais tellement vrai).

"Oh nos Dieux, qu'ils sont beaux ces enseignants chercheurs,
qui activent leur cerveau telle une normande le beurre" restera un morceau d'anthologie !!

Anonyme a dit…

cerveau ou réseau, là est la question

TEXERO

Anonyme a dit…

J'adore ton blog Pandore. Un vrai régal au point de devenir addictif. Ca me fait rire même si....
Caroline

Pandore a dit…

Texero, j'ajoute un lien vers ton blog : http://precairedusavoir.over-blog.com/ Je lui souhaite belle et longue vie..

Comme plus haut ou plus bas ou plus ancien, je répère : oui à la sauvegarde du CNRS et non à la précarisation de la Recherche. Mais quelque part, je crains que toutes ces agitations soient vaines face à un gouvernement mode Thatcher qui méprise la rue et a jusqu'ici fait passer en force toutes les choses que le peuple ne voulait pas : l'Europe, la précarisation de l'emploi,...
A moins d'aller séquestrer un président d'université, de déverser des colorants rouges dans la Seine, de faire manifester les chefs de labo à poil ou tout autre truc qui aura un aspect médiatique intéressant comme les taxis ou les pêcheurs, le gouvernement ne discutera pas et fera passer ce qu'il veut! (Hé, hé, il me vient plein d'idées rigolotes de chouettes actions, je vais peut-être bloger là-dessus :D)

Blop et Caroline, merci pour les douceurs. A trop lire les commentaires, j'oublie des fois que les lecteurs peuvent venir pour autre chose que nourrir le troll :)

Anonyme a dit…

Salut Kalai

Merci pour tes encouragements, j'espère que je ne vais pas trop nourrir le Trol pour ma part...

Tes considérations sont des propositions tactiques pour se faire entendre.

J'ajouterais que les chimistes peuvent fabriquer des gaz hilarants, les philosophes peuvent coller des migraines... Je pense que nous pouvons faire beaucoup, voire marrant... En l'occurrence nos amis intermittents avaient du potentiel...

Je dit des fois une grèves des ATER, allocataires, et titulaire pour titulariser sur dossier les comme nous
... mieux grève d'examens ...


Quant aux journalistes, ils sont au service de leurs propres mandarins, la plupart sont précaires. Ils sont tout comme nous en concurrence permanente. Comme nous ils partagent des espaces temps en mouvement...

Par ailleurs si tu est entendu parce que spectaculaire (la seine en rouge, les chefs de labo a poil, le président séquestré). Et que les média décident un "black out" sur toi tu n'existe plus.

Il faut exister sans eux...

Un souvenir des manifs SLR, une amie étrangère était avec moi dans la première manif.

C'était hyper calme : que des barbus à lunette, des types qui vendaient des bouquins, tout les magasins ouverts...

Pardon pour cette réponse quelque peu déstructurée...

bien à toi et j'apprécie beaucoup tes textes...

PS merci pour le lien, je suis loin de maîtriser cet outil...


TEXEROLAS

Pandore a dit…

TEXTEROLAS : pas si sûre le média aime le trash, donc les précaires à poil ou déguisés en hamster dans des roues géantes devant le Ministère, on en parlerait. Idem si on force un peu les choses : manifs non autorisées, actions coups de poing ...

malie a dit…

Ma pauvre Pandore. J'ia tâté du conseil de labo, mais chez moi il n'en a pas été ainsi. Pas aussi ouvertement en tout cas... et d'ailleurs du coup ça n'a pas marché pour moi ;-)

Allez, si ça peut te rassurer : dans certains labos ils n'ont tellement pas de sous et tellement pas les moyens d'avoir ni des postes de MCF ni d'ATER, ce genre de chose ne se voit pas ;-) Et puis de toute façon, même s'ils en avaient les moyens, ils n'arriveraient pas à se mettre d'accord, trop pris pas leurs luttes intestines inter-équipes...

Pandore a dit…

Oui Mirza je sais aussi que j'ai la chance de candidater dans une dscipline relativement ouverte...