C'était courtois de borner ainsi le temps. C'était courtois de prendre ainsi le temps de dire à chacun. C'est le seul endroit où le respect des candidats m'a semblé exister. Parce que, quand j'ai pris contact avec lui, il a passé vingt minutes à me parler, pour me raconter le poste, le contexte politique, leurs envies, leurs attentes.
Il avait dit: "Appelez -moi demain matin."
Alors je suis rentrée sereine, j'ai dormi dans le train, sommeil lourd et paisible. Sans fièvre nerveuse du téléphone qui ne risquait pas à tout moment de me sauter à la gorge. En rentrant, j'ai pris une douche, pris du temps, sans violemment me jeter sur ma messagerie qui ne risquait pas à tout moment de me lancer sauvagement une liste de candidats classés à la figure.
Une nuit.
Se dire que c'est peut-être la dernière nuit des interrogations lourdes, se dire aussi qu'on a pensé la même chose après chaque audition et que cela n'a jamais été finalement que des nuits comme les autres, ne pas s'emballer. Envie de croire que cette fois, c'est différent, envie de ne pas y croire pour ne pas chuter encore.
Un matin, 6h30, se dire qu'"Appelez -moi demain matin.", c'est le matin des gens, pas le sien. Mes matins sont des aurores pâles où tout le monde dort, y compris les KKK. Se demander à quelle heure est le matin. Se rappeler que la veille, on avait décidé que le matin, c'était à 10 heures.
Se dire qu'on appelle pas un KKK en pyjama, se laver, s'habiller, se coiffer comme pour un vrai rendez-vous. Prendre un petit-dejeuner du dimanche, du pain avec du beurre, du vrai beurre avec des petits cristaux de sel. Regarder le bol de lait tourner dans le micro-onde.
A 10h, se dire que tous les autres candidats ont du décider que le matin, c'était à 10h. Alors retarder le moment, profiter du pain à tremper dans le lait, de la douceur de la mie, du beurre qui fond un peu. Regarder le matin qui avance dans la ville et le jour qui gagne peu à peu vers demain.
Se dire que peut-être quelque part en France, quelqu'un a déjà appelé et pleure sans savoir pourquoi, parce qu'il devrait être heureux d'être celui à qui on a dit oui. Se dire que sans doute en France, d'autres ont déjà appelé et pleurent, leur rage, leur tristesse. Hier, pour beaucoup, c'était la seule audition de l'année.
Avoir mal au ventre, réfléchir à ce qu'on dira pour ne pas montrer qu'on est triste. Dire merci de votre cordialité, dire merci pour ces retours qui m'aideront à améliorer ma candidature. Dire dommage, j'aurai bien aimé être adoptée.
Le pain est terminé, le bol de lait aussi. Il n'y a plus rien à faire. Juste appeler...
Il n'y a plus rien à faire, alors écrire ce texte, pour repousser encore le moment où.
Se dire que 10h17, c'est une belle heure pour un matin. A 10h17, appeler.
....
Reprendre ce texte.
Entendre la voix, c'est la voix de ceux qui vous disent leurs condoléances, la voix qu'on a quand on parle aux malades. Apprendre qu'on est bien classé, très bien même... et découvrir qu'ils ont pris un candidat qui était déjà chez eux.
C'était ma cinquième audition, j'ai été classée sur tous ces postes, je dois avoir de la chance.
Tous les postes ont été pourvus en local, je dois être maudite.
Il ne reste plus qu'une chance, mercredi. Je n'y suis pas née, je n'y ai pas étudiée, je n'y ai rien fait, comment croire que cette ville pourrait m'adopter...
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Je répondrai à tous les commentaires plus tard, là, le coeur n'y est plus trop...
11 commentaires:
Juste pour préciser, malgré mes commentaires qui peuvent sembler pro-localisme, que j'avais été classé 3e sur un poste affecté à une antenne locale de mon université. Devant : des gens très très bien, indiscutablement, qui n'ont au final pas pris le poste.
Peut-être mercredi serez-vous de ces gens très très bien qui sont classés devant les locaux.
Bonne chance pour mercredi. Ca doit exister les KKK qui ne recrutent pas local et tu as clairement un bon CV, puisque tu es toujours classée.
Il faut y croire!
Je lis depuis plusieurs mois ce blog.. je fais partie de ceux qui ne seront jamais locaux... début de thèse "sujet trop original on vous prend mais vous n'aurez jamais aucun soutien de notre part" dixit mon directeur de thèse. L'an dernier sur 7 dépôts de candidature, 5 auditions.. cette année avec le même dossier enrichi aucune convocation... normal je suis éditeur invité d'une revue 2 étoiles cnrs ( ca vaut rien, la revue est connotée..), éditeur d'un ouvrage chez l'harmattan ( pfuu l'harmattan hein n'importe qui publie chez eux)..
Grand moment lorsque j'ai eu la personne responsable d'un poste à Montpellier " vous comprenez dans la région, c'est le seul poste dans notre discipline" heu au dela de la région on peut parler du poste vraiment??
au delà de ça, courage ce sont des gens comme toi qui feront changer les choses
je commence par la fin et...merde. je crois les doigts pour toi pour demain; Après tout il suffit d'un.
Une autre "qui-ne-sera-jamais-local-et-qui-n'est-pas-dans-la-bonne-specialité-et-qui-s'en-va-toute-seule"
Audition aujourd'hui : 4 convoqués pour un poste. 2 ne pas venus.
Beaucoup d'auditions sont passées, certains savent déjà qu'ils sont classés premier et décident de ne pas aller aux autres qui ne les intéressent pas...
Glurps. Que dire ? Je suis désolée, ne te connais pas dans la vraie vie mais forcément, à force de te lire, je me sentais concernée, je croisais les doigts pour toi. Pourvu que la prochaine soit la bonne.
J'en profite aussi pour te dire merci pour ce blog : je crois que cette voix que tu fais entendre ici fait du bien à tous ceux qui sont peu ou prou dans la même situation ; en quelques sortes tu dis pour ceux qui ne disent rien mais n'en pensent pas moins.
La violence du monde académique ne me surprend plus.
Elle ne cesse pourtant de me révolter.
"Tous ces beaux jeux inventés
Pour passer devant les premiers
Pour que chacun soit écrasé
S’il refuse encore de plier
Les dégâts, les excès
Ils vont vous les faire payer
Les cendres qui resteront
C’est pas eux qui les ramasseront"
Holala... Je partage ta déception belle Pandore...
Mcf, je l'espèrais aussi : ma dernière audition comportait 1/3 de candidats locaux pour 2 postes dont l'un était dans mes corde, ils ont pris un gentil candidat qui avait fait sa thèse et son postdoc sur place...
Erathrya, oui cela existe mais pas beaucoup selon mon expérience. Après les bons classements ne servent pas à grand chose à part à te laisser croire que peut-être une fois ça va marcher. Quelque part, je me dis qu'il serait plus facile de tourner la page si je n'avais pas eu d'aussi jolis classements :)
Dolphito, pas sûre que mes mots ont quelques pouvoirs autre que celui d'accompagner tous les autres comme moi. C'est déjà beaucoup, tu me diras.. Merci d'ailleurs à Colombine, ce blog est assurément un acte nombriliste mais s'il peut avoir ces vertues, tant mieux.
mowglinomade, un aurait suffit : il n'y en a pas eu. Pandore, qui ne sera jamais local et qui risque fort de s'en aller toute seule.
Pablo, la violence de la thèse et de la domination à M. Mandarine avait été d'une violence extrême, et j'avais été heureuse d'en sortir victorieuse. Je ne m'attendais pas à celle du recrutement. Aujourd'hui, je suis vide, morte, il n'y a même plus la rage de l'an passé.
Gruikette, c'est dommage pour ce poste-là, j'aurai vêcu pas loin de chez toi..
@pandore > Il faut pourtant la maintenir intacte cette rage. C'est celle qui ne nous fait pas plier, qui nous maintient, jsutement, en vie.
"La révolte seule est créatrice de lumières" disait Breton.
C'est évidemment difficile dans la période de recrutement puisqu'on n'est plus en face d'une personne (comme Mr Mandarine) mais d'un système entier. Et qu'il est impossible d'en vouloir individuellement à l'un ou l'autre de ses acteurs
Pablo, maintenir cette rage, c'est aussi accepter d'être brisé en deux. Plus ça va, plus je doute que cela en vaille la peine.
Justement, parce qu'individuellement, il n'y a rien de condamnable dans ces recrutements : des gens chouettes ont eu un poste à un endroit où l'on était sûr qu'ils conviendraient.
Si l'on ne peut changer le paysage, on peut en revanche changer de chemin et le laisser à ceux à qui il convient...
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